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un film de Romed Wyder

Romed Wyder sonde les états d’âme d’un terroriste sioniste

par Mathieu Loewer

www.lecourrier.ch

JOURNÉES DE SOLEURE Le réalisateur genevois revient avec une nouvelle fiction, le sombre «Dawn».

Seule fiction romande dévoilée en première mondiale aux Jour­nées de Soleure, Dawn retient particulièrement l’attention, et pas uniquement pour cette raison. Réalisé par Romed Wyder, Genevois d’adoption venu du Haut-Valais, il marque son retour sur le grand écran après dix ans d’absence. Le temps pour le cinéaste de se remettre de la gueule de bois d’Absolut, passé injustement inaperçu en salles? Pour mémoire, ce thriller paranoïaque sur fond d’action directe voyait deux activistes altermondialistes pirater le système informatique d’une banque du bout du lac.

Découvert avec le documentaire Squatters (1995) puis la co­médie Pas de café, pas de télé, pas de sexe (1999), l’ancien pilier du Spoutnik n’avait donc pas dit son dernier mot. Adapté de L’Aube d’Elie Wiesel, coproduit avec Israël, l’Allemagne et le Royaume-Uni, son quatrième long métrage fait même figure de retour en force! S’il s’ouvre à de nouveaux horizons cinématographiques et géographiques (tournage des extérieurs à Jaffa), Romed Wyder reste toutefois en terrain connu avec une histoire de terroristes… juifs.

Dawn se déroule en effet dans la Palestine sous mandat ­britannique de 1947, où la résistance armée sioniste combat ­l’occupant pour accélérer la création d’un Etat hébreu. Alors qu’un de ses membres doit être exécuté, un petit groupe détient dans une école un officier anglais promis au même sort en guise de représailles. Les négociations en cours ayant peu de chance d’aboutir, ce pseudo-suspense passe au second plan, le cinéaste qualifiant lui-même son film de «huis clos psychologique».

LÉGITIMITÉ DE LA VIOLENCE

Selon un schéma aussi classique qu’efficace, il s’agira donc d’éprouver les motivations et convictions de chacun, la pression de l’attente et de la promiscuité révélant les personnalités. Là, Romed Wyder peut compter sur le talent d’une belle brochette de comédiens: Liron Levo (vu chez Gitai et Sorrentino), Moris Cohen (Le Policier de Nadav Lapid), Rami Heuberger (La Liste de Schindler de Spielberg), Sarah Alder (Les Méduses, Godard, Sofia Coppola) et Jason Isaacs (de Harry Potter à Green Zone de Paul Greengrass). Mais le rôle principal de l’hésitant Elisha revient à l’Alémanique Joel Basman, tout à fait convaincant en jeune rescapé des camps de concentration confronté à un terrible conflit de conscience.

Un meurtre est-il légitime s’il sert une noble cause politique? A quel moment un résistant devient-il un terroriste? Des questions que posait déjà Opération Libertad de Nicolas Wadimoff, fiction sur des révolutionnaires suisses passant à l’action directe à la fin des années 1970. Situé dans un contexte différent, Dawn en pose d’autres encore: peut-on devenir bourreau après avoir échappé à la barbarie – et si oui, pour quelle raisons intimes?

Ces interrogations n’ont évidemment rien de rhétorique. Il suffit d’inverser les termes de l’équation pour renvoyer au conflit israélo-palestinien, dont le film remonte en somme à la source. Romed Wyder s’en explique dans la note d’intention du dossier de presse: «Ce retournement de situation est très parlant et montre qu’une libération peut produire d’autres opprimés, qui auront à leur tour envie de se battre. (…) Une certaine distance est donc bien­venue pour l’appréciation du problème dans sa complexité.»

Le parallèle étant on ne peut plus transparent, on regrettera que le film se termine de façon très didactique par un montage d’images d’archives allant de la création d’Israël à la construction du Mur de séparation. Ce qui n’enlève rien à la pertinence de la ­réflexion, ni à la profonde mélancolie qui envahit dès les premiers instants ce funeste Dawn.